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10 février 2015 2 10 /02 /février /2015 16:54
Yanis Varoufakis, le ministre grec des Finances - Lefteris Pitarakis/AP/SIPA
Cette interview qui a eu lieu juste après son entretien avec le président de la BCE Mario Draghhi le 4 février dernier, c'est Varoufakis qui l'a lui même relayée hier via son compte twitter. Elle en dit beaucoup sur l'envergure de ce ministre des finances, et sur sa droiture.
L'interview en vo: 
http://www.tagesschau.de/multimedia/video/video-60403.html
Traduction de l'interview (Sylvie Tassin).

 

M. Varoufakis vous venez de rencontrer le président de la BCE , comment s’est passée cette rencontre avec M Draghi ?

Cela a été une rencontre très agréable et très amicale en fait, très franche. Nous avons eu l’occasion tout d’abord d’apprendre à nous connaître, j’ai commencé je peux le dire par exprimer mon admiration sur la façon dont il a géré la BCE depuis qu’il a succédé à M Trichet, gestion qui doit être louée. Il a manœuvré l’euro à travers des mers très houleuses avec une très petite marge de liberté et d’une manière exemplaire. Et je n’essayais pas simplement de l’amadouer, j’ai toujours pensé cela de M. Draghi. 
Il a aussi eu l’opportunité de nous expliquer à moi et à mes collègues les contraintes et les règles selon lesquelles une banque centrale doit fonctionner. Nous avons aussi pu leur proposer notre plan de réforme pour la Grèce et pour mettre fin à la crise grecque qui n’en finit pas, et à la spirale déflationnaire de la dette . Et je quitte ou plutôt j’ai quitté ce lieu avec le sentiment très encourageant que la zone euro fonctionne.

Lors des jours qui ont suivi l’élection nous avons entendu parler de décote (effacement ?) de la dette et aujourd’hui nous entendons beaucoup parler de restructuration de la dette. Est-ce que sont simplement des erreurs de débutants ?

Pas le moins du monde. Laissez-moi éclaircir cela définitivement.
Ce que l’on nous a proposé, ce que nos partenaires nous disent lors de nos conversations est : « Ne demandez pas de décote/d’effacement, nous vous donnerons une extension de maturités et une réduction des taux d’intérêts ». Vous savez ce que c’est ? C’est une décote ! C’est une décote de la valeur réelle des remboursements que nous allons faire. Et en tant que ministre des finances de la Grèce, j’ai le devoir moral de réduire au maximum les pertes de nos partenaires. Et pas de faire mine qu’il n’y a pas eu de pertes pour sauver les apparences. Donc si nos partenaires de la zone euro et d’ailleurs n’aiment pas le mot décote, je peux respecter cela, il y a des mots que nous n’aimons pas en Grèce comme programme, troika, je peux comprendre que les mots aient une résonnance émotionnelle très forte. Mais mettons-nous au travail afin d’alléger au maximum le coût réel pour tout le monde en Europe et particulièrement pour ceux en Europe qui souffrent le plus parce que l’Europe n’a pas été construite correctement , en tout cas l’Eurozone ne l’a pas été et quand le tremblement de terre a frappé en 2008 et qu’il fut clair pour tous ceux qui avaient des yeux et des oreilles pour regarder la situation et entendre le bruit de la crise, qu'il est devenu clair pour tous que la façon dont l’Europe a répondu à ce tremblement de terre a peut-être été pire que le tremblement de terre lui-même. Le déni et un mauvais traitement peuvent aggraver une maladie avec des effets préjudiciables pour nous tous.

Vous parlez de bon traitement ? Quel est le bon traitement pour la Grèce et quelle est la solution possible pour la crise financière grecque ?

Laissez-moi juste rectifier quelque chose si vous le permettez. Je n’utilise jamais le mot crise pour la Grèce. Et je ne l’utilise pas pour des raisons très simples. La Grèce a connu une catastrophe, une implosion, une crise humanitaire si vous préférez. Mais c’est un non sens que d’y réfléchir en termes de crise économique et financière grecque. Imaginez maintenant que nous ne soyons pas ici à Francfort mais disons dans le Dakota du sud en 1931.Et que nous parlions de la crise dans le Dakota du sud. Cela aurait-il du sens ? Non, cela n’en aurait pas. Il y avait une crise financière aux Etats Unis et dans le monde occidental. C’est la crise de la zone euro. La raison pour laquelle vous êtes entrain de me parler est que mon pays est le canari dans la mine de charbon, il est très fragile c’est pourquoi il est le premier à mourir mais il n’est pas responsable du méthane qui envahit la mine et a causé l’explosion. Nous sommes responsables des défaillances de l’état, du fait que nous n’avons pas réformé, c’est la raison pour laquelle nous sommes le canari dans la mine. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle il y a une déflation maintenant dans toute l’Europe, ni la raison pour laquelle la BCE a tant de mal à être efficace dans sa politique monétaire, tant de mal à atteindre son objectif d’inflation à 2%, ni la raison pour laquelle des nations aussi fières que la France et l’Italie ont du mal de se tenir sur leurs jambes. Nous sommes simplement le premier domino à être tombé mais nous ne sommes pas responsables de l’effet domino . Et si nous ne nous serrons pas les coudes et si nous ne considérons pas cela comme une crise systémique qui doit être traitée de manière systématique , si au lieu de cela nous nous montrons mutuellement du doigt : « qu’allez-vous faire au sujet de tel ou tel problème ? », nous n’allons pas en sortir ! Donc nous devons réfléchir en Européens, nous asseoir et redémarrer notre politique.

Vous demandez des conditions de réformes plus douces pour le peuple grec. Qu’est-ce que la Grèce a à offrir au peuple européen en échange ?

Lors de mes voyages d’une capitale européenne à une autre, la manière dont j’aborde les choses avec mes homologues ou mes interlocuteurs est très simple : « allez-vous nous aider à réformer ce pays ? » Nous ne sommes pas un gouvernement expérimenté, aucun d’entre nous n’a d’expérience dans un gouvernement . Nous sommes même une grande chapelle avec des opinions différentes comme j’aime le dire mais ce que avons pour nous est que nous ne sommes pas corrompus, pas encore !
Nous sommes une nouvelle opportunité. Alors la question qui se pose est : est-ce que l’Europe va nous aider ? Ou est ce qu’elle va continuellement feindre de nous noyer de peur que si la Grèce n’ait le temps de respirer elle retourne à ses démons ? C’est un contrat social que nous devons conclure entre la Grèce et nos amis européens. Nous devons les convaincre que nous sommes sérieux et ils doivent donner à la Grèce une chance de grandir dans une Europe qui promeut une prospérité partagée au lieu d’une austérité partagée.

Demain vous allez rencontrer le ministre des finances allemand M Schäuble, quel sera votre message ?

Je pense que tout chez nous sera nouveau pour eux parce que il y a un écart majeur entre ce que nous disons et croyons et ceux que d’autres prétendent que nous disons et croyons. Alors communiquer et établir un modus vivendi est notre essence, notre devoir moral d’Européens pour nous comprendre. Laissez-moi être très bref en un exemple. Nous avons été dépeints comme un parti populiste et anti européen. Rien n’est plus éloigné de la vérité. Nous ne sommes pas populistes car nous n’avons pas promis tout à tout le monde, nous avons particulièrement veillé à avoir pour cible la crise humanitaire . Et je crois que M. Shäuble et M. Sapin que j’ai vu l’autre jour ,que vous, que tout Européen sera d’accord pour dire qu’il n’est pas juste que des dizaines de milliers ou des centaines de milliers de Grecs dorment dans la rue et aient faim le soir à cause de l’échec de l’Europe et du gouvernement grec à gérer cette crise déflationnaire de la dette. De toutes les nations d’Europe je crois que les Allemands sont bien plus proches de nous et ont une bien meilleure chance de comprendre ce message très simple : si vous humiliez une nation fière pendant trop longtemps et que vous la soumettez aux épreuves et aux tribulations d’une crise déflationnaire de la dette sans la moindre lueur au bout du tunnel, ce qui se produit est que l’œuf du serpent commence à éclore. Et quand je retournerai en Grèce et à mon parlement, je devrai m’asseoir à côté d’un parti nazi qui est le 3ème plus grand parti de Grèce. Je suis certain que vous, Dr Shäuble, Mme Merkel , et que tous ceux qui marchent dans les rues de Frankfort ou de n’importe quelle ville d’Allemagne ressentent de la solidarité avec ceux qui souffrent ce calvaire et savent que ce n’est pas dans l’intérêt de l’Allemagne, que ce n’est pas dans l’intérêt de la Grèce de voir émerger ce type de situation parce que… regardons les choses en face. La méchanceté grandit, et elle contamine l’Europe. Nous ne voulons pas d’une époque post années 30.

Vous demandez de l’aide : qu’attendez-vous de l’Union Européenne ?

La chose que nous demandons est de ne pas se voir imposer d’ultimatum…
Donnez-nous jusqu’à la fin du mois, jusqu’à la fin mai pour que nous puissions faire des propositions et délibérer, même pas négocier, délibérer avec nos partenaires et qu’ avant l’été, vers la fin du printemps ,nous puissions avoir un nouveau contrat entre la Grèce et l’Europe de façon à lancer un processus qui mènera à un merveilleux équilibre où vous n’aurez pas à m’interviewer, la Grèce ne fera pas les gros titres et ne sera plus cette plaie purulente qui démange et irrite le reste de l’Europe.


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